Eli Mengem est la voix d’une génération qui a grandi avec le football des années 90-2000. Sur Copa90 dans des programmes comme Derby Days ou The Real International Break, il partage sa vision du football. Pas celle qui parle des millions dépensés ou de la tactique mais celle qui parle des gens, des histoires, de la culture autour du football. Comme nous, Eli a grandi entre les années 90 et 2000 avec le football comme invitation au voyage, à la connaissance et à la rencontre de gens ou d’endroits dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. C’est cette passion pour les gens qu’il transmet au travers du football sur la plus grosse chaine de foot sur YouTube puisque après tout le football est juste un prétexte pour raconter des histoires. Ecoutons donc la sienne.
Adrien: Cher Eli, racontes-nous ton premier souvenir de football ?
Eli: Mon premier souvenir… Je crois que je suis tombé amoureux du football quand j’ai vu le but de Ronaldinho contre l’Angleterre lors de la Coupe du Monde 2002. Ayant grandi en Australie je ne pouvais pas regarder les matchs européens car ils étaient diffusés à 2h du matin mais vu que la Coupe du Monde était au Japon et en Corée du Sud les matchs passaient pile après l’école. Il y avait deux gamins dans mon école, un d’origine grecque, l’autre d’origine ukrainienne. Je ne les appréciaient pas spécialement mais c’était un peu les mecs à la mode avec leurs vêtements. Ils parlaient tout le temps de la Coupe du Monde.
J’ai mis les pieds pour la première fois dans un stade en 2000 pour les Jeux Olympiques de Sydney pour le match entre l’Australie et l’Italie. Mais honnêtement je pense que mon premier vrai souvenir, c’est un maillot que mon père m’avait ramené du Brésil. Il m’avait raconté que c’était le sport le plus populaire là-bas. Avant ça je m’intéressais au football australien, l’AFL.
Mon premier vrai souvenir, c’est un maillot que mon père m’avait ramené du Brésil
Est-ce que c’est devenu une passion instantanément ?
Avant ça j’étais à fond dans le foot australien. Ma mère m’a récemment rappelé comment j’avais refusé d’aller à l’école pendant une semaine parce que mon équipe avait perdu contre une nouvelle équipe qui avait perdu tous ses matchs auparavant ! C’est une part un peu compliquée de mon identité parce que je me demande si j’aime l’AFL parce que j’ai été éduqué à l’aimer par la société ou pour les souvenirs que j’en ai avec mon grand-père.
Tout ça pour dire que je suis allé au stade avec mon maillot que m’avait ramené mon père. On a perdu sur un but de Del Piero ou Totti (c’était en fait un but d’Andrea Pirlo). Je m’en rappelle peu mais je suis souvenu que j’avais réalisé à quel point c’était quelque chose important. Ensuite pas grand-chose jusqu’à la Coupe du Monde en 2002 et ce match entre le Brésil et l’Angleterre. Mon cerveau a vraiment pris la mesure des choses “Ok c’est un Brésilien qui joue pour Paris qui vient de marquer contre l’Angleterre en Corée du Sud.” Tous ces pays d’un coup ! Je ne savais même pas qu’ils existaient, je pensais que c’était des plats !
Je me souviens un jour nous avions une sorte de bal de promo à l’école et il y avait cet enfant d’origine grecque. J’ai vu son père venir le chercher et lui dire “Monte vite! Le Sénégal est en train de gagner !”. J’ai buggé. Je suis rentré et j’ai vu aux infos les images en direct du Sénégal avec les gens qui célébraient dans la rue, le président agitant un drapeau. Il avait déclaré un jour férié alors qu’ils avaient juste gagné un match ! Du coup j’ai commencé à regarder les matchs. J’avais même la VHS avec tous les buts. Je connais les scores par coeur. Brésil – Costa Rica 5-2, Angleterre – Slovénie 3-1, Danemark – Uruguay 2-1, mais vraiment ce match entre le Brésil et l’Angleterre… Quand Ronaldinho a marqué ce but j’ai couru trouver un bottin pour appeler cet ami grec. Les plus jeunes ne doivent pas savoir de quoi je parle. J’ai trouvé son nom, Kyprianides, car il était Grec. Je ne savais pas l’épeler mais c’était le seul en ville. Je l’appelle et je tombe sur sa mère : ”Est-ce que je peux parler à Kozy ?”. Il prend le téléphone “C’est qui ?” – “un ami. Tu as vu le but ?” J’étais tellement excité ! A partir de ce jour c’est devenu mon meilleur ami et il l’est toujours. C’est ce jour là que tout a changé.
J’ai vu son père venir le chercher et lui dire “Monte vite! Le Sénégal est en train de gagner !”. J’ai buggé.
Tu as grandi où ?
J’ai grandi à Melbourne mais j’ai déménagé à Brisbane quand j’avais 12 ans. Cette histoire a eu lieu lors de ma deuxième année là-bas. C’est marrant parce qu’à Brisbane ils n’aiment pas le football australien, ils préfèrent le rugby. C’est dur à expliquer aux gens. Imagine si de Bordeaux à Nice tout le monde préféraient les règles du foot australien et au nord et à l’est ils préféraient le rugby. Mais là les riches préféreraient le rugby à XV et les pauvres le rugby à XIII. Quand je suis arrivé de Melbourne, le football australien c’était ma vie. On appelle ça l’AFL, Australian Football League. Mais à Brisbane ils s’en moquaient et appelaient ça la GayFL et je ne comprenais pas pourquoi ils n’aimaient pas ce sport. Tout le monde joue à ça à Melbourne. Dans le championnat dix équipes sur seize viennent de la ville. Il y a plus de public qu’en Ligue 1 et il y a plus de 500 000 licenciés car c’est un sport abordable. C’est très sérieux !
Au milieu de tout ça j’avais dans l’idée de parcourir le monde un jour. Je me suis mis au foot l’année d’après, j’ai commencé à regarder la Premier League puis l’Euro 2004 est arrivé. Il faut savoir qu’en Australie il y a une énorme communauté grecque. Je me souviens avoir regardé un match avec mon ami grec et un ami de ma famille qui était d’origine italienne et qui était un grand fan de foot évidemment. On a joué à This Is Football, bu du Coca et du Pepsi toute la nuit en attendant le match qui était à 6h du matin à cause du décalage. Je me rappelle de Jaap Stam, il jouait où à l’époque ? A l’Ajax ? (il était alors en instance de transfert entre le PSV et la Lazio Rome). J’arrêtais pas de poser des questions “Il joue pour l’Ajax ? Le Milan AC ? C’est quoi l’Ajax exactement ?”. J’avais 12 ans et je découvrais tous ces joueurs et ces villes et j’étais excité à l’idée d’en savoir plus sur tous ces endroits. Je n’y connaissais rien du tout !
Puis la Grèce a gagné, l’association grecque était en folie ! J’étais dans la rue à 5 heures du matin avec des fumigènes ! Je suis passé aux infos ce jour là alors que je ne suis même pas Grec ! J’ai encore cet immense drapeau grec quelque part. En 2005, le nouveau championnat australien a commencé et tout s’est enchainé parfaitement. La A-League venait remplacer l’ancien championnat qui venait de s’arrêter. Ca a eu du succès très vite. Puis ensuite on s’est qualifié pour la Coupe du Monde et là je me suis totalement pris au jeu.
J’avais dans l’idée de parcourir le monde un jour.
Tu avais une équipe que tu supportais ?
Non. Je suis très fier d’être de Melbourne même si je vivais à Brisbane à ce moment là. Le père d’un de mes bons amis était le coach de Brisbane du coup on avait souvent de bonnes places pour les matchs mais mon coeur était toujours à Melbourne. Aussi mon problème était que je supportais toutes les équipes car je voulais vraiment voir le football grandir dans le pays. Le championnat avait besoin que la bonne équipe gagne et on a eu de la chance car sur les cinq premières saisons, il y a toujours eu un champion différent. C’était parfait pour développer les histoires de ces équipes et créer une bonne base de supporters.
Donc à la base il y avait Brisbane mais j’avais l’habitude de revenir deux fois par an à Melbourne avec mes parents. Je suis revenu pile pour le premier Melbourne – Sydney de l’histoire. Ca se développait énormément à Melbourne. J’avais 16 ans et un des amis avec qui j’avais regardé l’Euro était revenu vivre à Melbourne. C’était évidemment un énorme fan de Melbourne et il m’a emmené au stade avec les BWB (Blue & White Brigade, le plus gros groupe d’ultras de Melbourne). On ne réalise pas trop comme ça car aujourd’hui nos stades ont l’air un peu américanisé mais avant c’était assez chaud dans certains groupes. Il y avait des bagarres au couteau, des kidnappings, ce n’est pas une blague ! Les BWB étaient les premiers. En prenant du recul je me rends compte de la galère dans laquelle je m’étais mis.
C’est le premier fumigène allumé dans ce stade. C’est une histoire connue. J’ai aussi allumé le premier fumi de l’histoire du stade de Brisbane.
C’était le premier match contre Sydney dans ce grand stade qui servait aussi pour le foot australien. Il y avait 50 000 personnes alors qu’il y en avait 15 000 de moyenne sur la saison. On était avec les ultras. On avait des fumigènes et mon pote me dit d’en allumer un, du coup je le fais (il imite le bruit du fumi qui s’allume) et vite je crie “merde ça brûle !” et je fais tomber le fumi sur le pied de mon pote qui le prend et le lance plus bas. On était tout en haut de la tribune. Je vois encore le fumi s’envoler et atterrir plus bas sur quelqu’un. Je tiens à dire que je n’encourage absolument pas ça ! Les policiers ont commencé à courir, ils venaient me chercher ! J’avais tellement peur, je commençais à pleurer. Tout le monde s’est mis à courir, mon pote a couru pour sortir du stade et m’a laissé tout seul. Je revois encore le fumi tomber plus bas et moi en train de me dire “oh ça sent pas bon ça !”. C’est le premier fumigène allumé dans ce stade. C’est une histoire connue. J’ai aussi allumé le premier fumi de l’histoire du stade de Brisbane.
Tu as un joueur australien préféré ?
Mark Bresciano. Il a joué à Empoli, Palerme, Parme… Je crois qu’il est passé par Blackburn aussi. Pour moi le numéro 1 reste Tim Cahill. On ne serait pas là où on en est aujourd’hui sans lui. Lors de notre première Coupe du Monde nous perdions 1-0 face au Japon dans notre premier match et il égalise à la 85e minute avant de marquer le but du 2-1. En 2010 en Afrique du Sud, on devait impérativement battre la Serbie pour espérer passer en 8e de finale. Il a marqué de la tête face à Vidic et on a gagné le match mais on est pas passé à la différence de but. Puis ensuite au Brésil il a marqué face aux Pays-Bas et au Chili. A chaque fois qu’on a eu besoin de lui il nous a sauvé.
Qu’allez-vous devenir sans lui ?
Je ne sais pas. Il n’y a aucun plan. Il nous a encore sauvé face à la Syrie, il marqué les deux buts au retour (2-0 pour l’Australie, 0-0 au match aller). Si je n’avais pas été australien, j’aurais supporté la Syrie sur ce match d’ailleurs.
J’étais pour eux ! Ils ont une histoire incroyable.
Mec c’est dingue ! J’aurais préféré qu’on se qualifie automatiquement car la Syrie aurait pu affronter l’Arabie Saoudite et ils les auraient explosé. C’est triste mais c’est le football.
Tu as toujours voulu être un journaliste football ?
J’ai toujours voulu faire des films. Mais bon j’étais tellement dans le foot comparé aux gens qui m’entouraient que je crois que c’était le chemin logique à suivre même si parfois c’est usant.
Quel est ton film ou documentaire favori autour du foot ?
Mon documentaire préféré est Next Goal Wins. J’étais allé à l’avant-première et quand un des joueurs tire sur le poteau alors qu’un but les aurait qualifié, j’étais… (Il grimace). Toute la salle a crié “ooohh!!” et dans ma tête je me disais “merde”. J’ai travaillé avec le preneur de son du film sur la série “Meet Europe’s Best” autour de l’Euro 2016. Nous étions dans l’avion a parlé de nos voyages et là il me dit qu’il est allé dans les Samoa Américaines. Je lui demande intrigué pour quelle raison et il me dit que c’était pour un documentaire sur l’équipe nationale. Je suis devenu dingue ! On était sur un vol de 3 heures et je n’ai pas arrêté de le bombarder de question alors qu’il voulait dormir. Ce film est juste parfait.
Concernant le film, je dirais “Rudo y Cursi” avec Gael Garcia Bernal et Diego Luna. Ca raconte l’histoire de deux frères qui veulent jouer au foot. Un préfère la vie de rockstar alors que c’est un super joueur mais il s’en fout. L’autre voudrait être un super footballeur mais n’a pas vraiment de talent. Ca fait penser aux frères Donnaruma car l’un est gardien et l’autre attaquant. C’est à la fois un beau film et c’est aussi drôle. Ca parle aussi de la corruption, comment tu dois payer un recruteur pour avoir un essai etc… Vous avez vu “Y Tu Mama Tambien” les mecs ?
Adrien et Jérémie: Non.
Oh mec c’est un de mes films préférés.
Tu préfères les films ou les documentaires ?
Les deux. Aujourd’hui j’aime faire des documentaires. Je réalise mes propres formats et je m’améliore mais j’espère un jour réaliser des films. Ca t’emmène dans des mondes différents. J’adore les films français. J’adore “Irréversible” de Gaspard Noé. Je comprends pourquoi les gens peuvent ne pas aimer mais je n’avais jamais envisagé un film qui commence par la fin et se déroule à l’inverse. Le film commence avec une résolution qui devient ensuite une revenge. La première fois que je l’ai vu, j’avais de l’empathie pour l’homme du début en pensant que c’était une victime puis j’ai réalisé que ce n’était pas le cas et qu’il avait mérité son sort. Mais je n’ai pas vraiment apprécié la revanche car je me suis dit “mec pourquoi tu le tues ?”. J’aime aussi les classiques comme “Le dîner de cons”, “Les 400 coups” (il prononce “Les 400 culs”), “Zazie dans le métro”. “Amélie Poulain”. J’aime beaucoup Xavier Dolan. “Les amours imaginaires” est génial.
Avant de venir vivre à Londres pour travailler chez Copa 90, tu avais déjà habité là non ?
J’ai fait un tour d’Europe, un peu comme tous les Australiens. Je ne voulais pas aller voir les grosses équipes car tous mes amis les supportaient déjà. J’ai vu Tottenham mais ça ne m’a pas fait grand-chose. J’ai bien aimé Leyton Orient. Je vivais dans le quartier de Queen’s Park Rangers. Un jour je vais au stade tout seul et je bassinais mon voisin avec tout un tas de question. Je crois qu’il ne m’aimait pas beaucoup mais je voulais en savoir plus sur le club. Il ne s’occupait pas trop de moi jusqu’au moment où QPR a marqué et là il m’a pris dans ses bras d’un coup ! Puis il m’a payé une bière et il m’a invité chez lui et on est devenu amis. Je trainais avec son fils et ses amis. On allait aux matchs mais honnêtement je ne suis pas un très bon supporter. Je préfère le football de club en Angleterre mais j’aime vraiment les petits championnats. La Premier League c’est trop d’informations, trop d’argent, ce n’est plus authentique du tout à mon sens. Je comprends que les gens aiment mais je préfère un autre football.
Je crois que dans ta vidéo de présentation à Copa 90 tu disais d’ailleurs que tu préférais la passion autour du football plus que le jeu en soit.
Je ne me suis jamais vraiment passionné pour les joueurs. J’aime Ronaldinho mais je n’ai jamais aimé d’autre joueur. Il y a des génies dans tous les sports. Federer, Kobe… ce sont des génies et je les respecte, mais les fans… Tu ne trouveras pas de supporters aussi passionnés que dans le football. C’est ça qui fait la différence pour moi.
Est-ce que c’est pour ça que quand je te vois dans tes vidéos tu es à fond dans l’ambiance sans vraiment prendre partie ?
Je suis souvent du côté des outsiders mais je suis surtout intéressé au moment où les mecs autour de moi vont devenir dingues. Je m’intéresse à l’histoire pas au club. Je ne prends jamais partie dans Derby Days. Il n’y a que deux derbies pour lesquels j’ai un camp mais je le garde pour moi. Parfois je préfère voir une équipe gagner car c’est meilleur pour l’histoire que je veux raconter mais ça s’arrête là.
Mais parfois tu as vraiment l’air investit dans un match comme lors de Côte d’Ivoire – Maroc…
En fait je voulais que le Maroc gagne car l’histoire était meilleure. Beaucoup de gens m’ont reproché de changer de tribune pendant le match mais en fait je n’avais pas le choix ! On devait bouger pour notre sécurité. Déjà avant le match certaines personnes étaient assez agressives avec moi alors que je portais un drapeau et une casquette aux couleurs de la Côte d’Ivoire. Les gens me demandaient si j’étais Marocain et je leur répondais que j’étais Australien mais ils étaient perdus. Mon fixeur qui est au passage un super journaliste algérien qui s’appelle Maher Mezahi, ressemblait aussi à un Marocain pour eux donc on était deux dans ce cas !
Comme on voit dans la vidéo, il y a une bagarre entre supporters ivoiriens qui démarre à un moment. A la mi-temps on s’est dit que c’était mieux d’aller du côté marocain car les esprits s’échauffaient vraiment et même avec nos maillots de la Côte d’Ivoire on se sentait pas trop en sécurité. Il n’y avait même pas de lumière dans le tunnel derrière les buts ! Au moment où on rejoint la tribune marocaine, on voit un supporter marocain dans la tribune où on était se faire attaquer par des Ivoiriens. On s’est dit qu’on avait fait le bon choix.
En Argentine par exemple, quand l’Equateur marque au bout de 41 secondes, je me retourne vers la caméra car mon boulot c’est de dire quelque chose. Je n’avais absolument aucun mot… Je me suis dit “merde c’est vraiment en train d’arriver, ils vont rater la Coupe du Monde”. Les deux mecs avec moi dans la vidéo étaient des psychopathes ! J’étais à Rosario, une ville connue pour ses gangs. Ils vivaient dans un quartier, ça faisait peur mec ! Je me disais “il peut nous arriver n’importe quoi maintenant”.
A chaque fois que je m’investis c’est parce que l’histoire va dans le sens que je souhaite. Je veux bien sûr voir des buts mais parfois comme pour Côte d’Ivoire – Maroc ça n’avait pas d’importance car le Maroc aussi avait une histoire importante à raconter. Ils sortaient de 20 ans sans Coupe du Monde, ils ont Hervé Renard sur le banc qui est une légende en Afrique, une de leur meilleure équipe depuis des années, un club marocain vient de gagner la Champions League africaine, ils vont bientôt organiser la CAN… C’est leur moment. La génération dorée ivoirienne a fini son cycle, leur moment est passé.
Je voulais revenir sur l’audition à laquelle tu as participé pour rentrer chez Copa 90. Comment tu en as entendu parler et pourquoi tu l’as fait ?
Déjà quatre ans avant en 2010, j’avais participé à une compétition similaire pour la chaîne SBS en Australie. C’était la chaîne avec laquelle j’avais grandi en regardant le foot et à ce moment là j’étais en école de cinéma et avec un ami on a donc fait une vidéo pour participer au concours. On se classe dans le top 5 et la chaîne nous demande le jeudi de faire une vidéo le dimanche qui suit autour d’un match. On y est allé à fond. On a pris l’avion pour Sydney et grâce à un contact dans le restaurant où je bossais j’ai pu avoir accès à des joueurs. C’était vraiment sérieux ! On avait réussi à avoir ce joueur qui était blacklisté par les médias. Il était complètement défoncé quand on l’a interviewé. Il m’a attrapé la jambe à un moment (il montre sa main qui agrippe sa cuisse avec vigueur). On a essayé de lui poser des questions mais il devenait complètement fou ! SBS nous a dit “comment vous avez fait pour l’avoir ?” car il était totalement en retrait des médias. J’étais sûr qu’on gagnerait et qu’on irait à la Coupe du Monde. Tout le monde avait été à un match dans sa ville, nous on avait été directement à Sydney. J’étais sûr qu’on allait gagner. Et finalement la chaîne nous appelle pour nous dire qu’elle ne nous sélectionnait pas. J’étais tellement déprimé. Je savais que si l’occasion se représentait, je ne la laisserais pas passer.
Quelques années plus tard alors que j’avais quitté le cocon familial, je trainais sur Twitter, il faut savoir qu’en Australie le gros de l’actu du football se passe sur les réseaux sociaux car les médias traditionnels s’intéressent moyennement au foot, et je vois ce gars qui retweete Copa 90 au sujet du “best job in the world”. Il était 2 heures du matin, je passais mes nuits à regarder des vidéos de foot pour rattraper tout ce que j’avais raté dans ma jeunesse. J’ai cliqué sur le lien et je me suis dit “c’est ça que je veux faire !”.
Le lendemain je suis au pub avec ma caméra pour la finale de la League Cup entre Chelsea et Wigan. Il faisait trop sombre à l’intérieur donc ma vidéo n’est pas très bonne. Je regarde les vidéos des autres candidats et je vois ce jeune Australien qui avait fait une bonne vidéo à Sydney avec du bon matériel. J’étais sûr qu’il allait gagner. Je me suis dit qu’il n’y avait pas moyen que je finisse deuxième. Je suis allé au bar où je bossais car j’avais un collègue avec qui j’étais à l’université qui quand on finissait à 2-3 heures du matin, passait son temps à filmer tout et n’importe quoi. Je lui ai dit “Mec j’ai besoin de ton aide sur ce projet. C’est le job de mes rêves. J’ai 6 jours pour faire cette vidéo. Tu dois venir dormir chez moi toute la semaine, te lever à 4 heures du matin avec moi et aller au pub pour voir des matchs. Je te paierais à manger”. Il a accepté. J’ai aussi embauché tous mes amis en tant que figurants. Je me souviens que j’ai même écrit un mail à ce mec qui avait fait la vidéo à Sydney. Je lui ai dit “mec attends de voir ma vidéo”, il m’a dit “on verra”. Quand je l’ai posté il a répondu “ah ouais quand même !”.
Je bossais dans un restaurant et un bar à l’époque. J’ai dû sacrifier mon job dans le resto après cinq ans là-bas. Le patron m’a dit “tu vas tout de même pas lâcher ton boulot pour ce concours stupide ?!”. Et j’ai démissionné. J’avais un partiel à l’université que j’ai remis au semestre suivant juste pour cette vidéo. J’avais encore le job au bar mais un jour je me rends compte que j’ai besoin de fumigène. Les clients me parlaient mais c’est comme s’ils n’étaient pas là. J’ai demandé à la patronne de me laisser ma semaine et elle a accepté totalement dépitée. Tout le monde pensait que j’étais fou.
“Tu vas tout de même pas lâcher ton boulot pour ce concours stupide ?!”. Et j’ai démissionné.
J’ai passé la première étape en me classant dans le Top 3. Là Copa 90 me dit : “voilà le deal. On remet tous les compteurs de vues à zéro et on fait les comptes à la fin.” Il fallait que je fasse la promotion de ma vidéo à fond sauf que je devais partir dix jours aux Japon avec mes amis pour voir le match de l’Australie là-bas. J’avais économisé pendant des mois. Je checkais les compteurs à chaque escale. Et au final le mec qui était devant avait visiblement acheté des vues du coup j’ai gagné et je suis parti au Brésil pour la Coupe des Confédérations.
Ce n’était pas payé mais je suis parti au Brésil cinq semaines pour couvrir la compétition nourri, logé et blanchi. J’avais eu toutes les peines du monde à avoir mon visa et j’ai dû aller à l’ambassade brésilienne à Tokyo car je n’avais même pas le temps de passer par l’Angleterre. Je devais directement aller au Brésil du Japon. J’étais le premier Australien à entrer à l’ambassade brésilienne à Tokyo. J’avais besoin de tas d’informations du coup j’appelais ma mère d’un cyber café avec des cabines pour regarder du porno car c’était le plus proche de mon hotel. Jusqu’au dernier moment j’ai cru que je n’allais pas pouvoir partir.
Finalement j’ai pu y aller. C’était censé être un one shot pour la Coupe des Confédérations mais ils m’ont tellement apprécié qu’ils m’ont proposé dans faire mon job à plein temps. Mon pote du bar qui avait filmé ma vidéo d’audition bosse ici aussi aujourd’hui, je l’ai ramené en mai. Il s’appelle Colin, on a fait le docu sur Leyton Orient ensemble. Pendant quatre ans j’ai bossé avec tout le monde mais maintenant je réalise mes propres projets. J’ai aussi fait le Derby Days de Madrid et le reportage sur les qualifs de la Coupe du Monde en Argentine.
C’est comme ça que je suis tombé amoureux du foot, grâce à ceux qui en sont amoureux.
C’est toi qui a eu l’idée de Derby Days ?
Non c’était déjà lancé quand je suis arrivé et ça devait être animé par quelqu’un d’autre mais je me disais que c’était fait pour moi. Du coup je l’ai joué plus subtilement en leur conseillant des derbys à faire : “Vous devez faire Ipswich – Norwich, Heracles – Hereveen aux Pays-Bas, Chievo – Hellas à Vérone ou Samp – Genoa à Gênes”. J’ai éveillé leur attention directement. Tu vois ce coin bibliothèque là-bas (il pointe quelques étagères regorgeant de magazines). C’est à moi. Depuis des années je lis tous les Four Four Two, When Saturday Comes. Je lis tous les articles page par page. Je ne rate aucune histoire. Je connais tout ! C’est pour ça que je savais qu’il y a quasiment personne comme moi, je suis obsédé par ça ! C’est comme ça que je suis tombé amoureux du foot, grâce à ceux qui en sont amoureux. Je suis fasciné de voir à quel point ça passionne les gens. Je n’ai pas de souvenir particulier de football. Je n’étais pas un bon supporter à QPR. La seule équipe qui m’importe vraiment c’est l’Australie. Plus ils gagnent, mieux je me porte. Je n’ai pas vraiment de chez moi. Je pourrais supporter Melbourne mais il n’y avait pas d’équipe quand j’y habitais. Et je soutenais les autres équipes. Comme disait Maher : “je pense que le football est un prétexte pour raconter des histoires.” Je pense que c’est la meilleure manière d’en parler. Je peux parler de Bordeaux parce que j’ai lu des choses sur le nouveau stade, Juppé… (Il se tourne vers Jérémie) Mec ce que tu as été en Ouzbékistan à cause du foot par exemple !
omme disait Maher : “je pense que le football est un prétexte pour raconter des histoires.” Je pense que c’est la meilleure manière d’en parler.
Jérémie: C’était parti d’une blague entre potes de France car à la base tout le monde s’en moque de ce pays. Du coup on a appelé notre équipe l’Etoile Filante Ouzbeke, on a créé une association, un tournoi et un jour on s’est dit “merde on doit y aller !”.
C’est marrant car aucun des derbys que tu viens de citer ne figure dans Derby Days.
En fait les deux dernières années je choisissais les derbys. Avant c’était les gens. De plus Copa90 grandit lentement. On vient juste de fêter notre cinquième anniversaire. On devait développer notre audience d’abord donc on a fait les gros matchs et même le Clasico même si ce n’est pas un derby au sens propre. Cinq des huit premiers épisodes sont des 0-0. Lors de Tottenham – Arsenal, il y a 1-0 mais je rate le but. Puis vient la Serbie et le derby de Belgrade. Je me souviens qu’on était dans la salle de presse et un gars nous demande d’où on vient. On dit qu’on vient d’Angleterre et il répond “Oh Luton Town!”. Donc on lui a demandé si on pouvait filmer le terrain puis le match et c’est devenu totalement dingue ! C’est la première vidéo de la série à atteindre le million de vues. C’était la meilleure vidéo de toute. On a compris qu’on devait couvrir des championnats plus petits.
La saison d’après on a fait la Hongrie et la Bosnie. J’adore la Bosnie. Les Bosniaques sont formidables. On gagne en maturité aujourd’hui. Oui on aurait pu faire les derbys que j’ai cité mais dans le même temps on a la chance d’avoir aussi des Zidane et des Beckham sur la chaîne.
Est-ce qu’il y a un derby que tu rêves de couvrir ?
J’aime les derbys des gros championnats mais pas forcément avec des équipes de premier plan comme Lyon – St-Etienne en Ligue 1. Je ne connais pas ces villes mais j’adore la France. J’aimerais y vivre un jour.
Sinon il y a Sampdoria – Genoa en Serie A. J’adore quand les joueurs de ces clubs sont des locaux. Je préfère faire les matchs retour. Tous les derbys espagnols de la saison 4 sont mes choix. Ca va être un bon test.
Quel est ton souvenir de derby le plus fou ?
A Madrid quand l’Atletico a marqué le deuxième but la saison passée. Je me demandais ce qui était en train de se passer. Dès la première seconde l’énergie était toxique. J’ai vu deux supporters de l’Atletico en venir aux mains. Ils étaient tellement énervés d’avoir perdus le premier match 3-0. Les dix premières minutes étaient complètement folles. J’étais à Vigo pour le match aller et quand j’ai vu le score j’ai failli annuler le reportage. Je pensais que personne ne voudrait nous parler mais mon boss m’a persuadé de le faire. J’adore aussi celui-ci car on s’est dans une grosse bagarre entre la police et les supporters de l’Atletico. On était à l’intérieur. J’ai produit et réalisé celui-ci. Mon meilleur ami était là, mon pote caméraman qui m’avait aidé pour l’audition aussi. C’était un nouveau cycle !
Quatre ans plutôt un album de Phoenix était sorti au moment de la compétition et quand on était à Madrid un nouveau venait de sortir. Désormais je vois ma vie en cycle rythmés par la Coupe du Monde. Cette année pour le tirage au sort j’étais en direct sur CNN alors que quatre ans plus tôt j’étais dans ma chambre avec mes potes. Pareil pour la Coupe des Confédérations. L’année dernière j’étais à New York alors que quatre ans plus tôt je la couvrais.
Tu penses que tu seras où dans quatre ans ?
Peut-être sur Canal+ a commenté des matchs en français.
Qu’est-ce qui arrive pour toi sur Copa90?
On vient de sortir la nouvelle saison de Derby Days. Je veux qu’à chaque fois que tu regardes, tu le fasses car trouves ça différent du reste. Par exemple quand j’ai filmé les qualifications de la Coupe du Monde, le reportage sur le Japon n’a rien à voir avec celui en Argentine. La musique, la vibe est différente. Je veux que ce soit pareil pour Derby Days. Il y a eu nouvel épisode tous les Dimanche.
La Coupe du Monde sera aussi importante. On prépare de gros trucs. En même temps je veux être à Kazan quand on battra la France et le Danemark (rires). Je pense aussi à ce que je ferais après la Coupe du Monde mais je ne veux pas encore y penser car je veux l’apprécier comme il se doit d’abord. La nuit avant la Coupe du Monde est la meilleure nuit de ma vie. Je me souviens en 2006 je jouais au foot australien et on avait une finale avec mon club. La finale a été repoussée et comme c’était juste avant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde en Allemagne j’ai préféré la regarder plutôt que de jouer. Je ne pouvais pas rater ça !
La nuit avant la Coupe du Monde est la meilleure nuit de ma vie.
En 2010, je me souviens quand j’étais au bar et que je me suis dit : “Ce mois-ci c’est football tous les jours”. C’est juste ce sentiment que grâce au foot les gens mettent leurs problèmes de côté. La meilleure chose c’est de se lever et se dire et de regarder les matchs au programme : “aujourd’hui Algérie – Corée du Sud”. Ca parait totalement banal mais ça veut dire tellement de choses pour les gens de ces deux pays. Tu sais que de belles histoires vont naître comme l’Algérie en 2014 ou le Ghana en 2010. Le plus déprimant c’est le premier jour après la Coupe du Monde quand tu sais que tu dois de nouveau attendre quatre ans.
Je me souviens quand j’étais au Brésil pour la dernière Coupe du Monde, il y avait tellement de problèmes dans le monde. Le conflit Israelo-Palestinien, Trump qui se lançait dans la course à la Maison Blanche, le climat de violence à Londres… alors que j’étais au Brésil et que c’était la fête permanente. Mon meilleur souvenir c’était la veille du coup d’envoi de la compétition. J’étais à l’aéroport pour attendre mon ami mais son vol avait du retard. J’étais assis au lounge et j’ai vu un avion arrivé de Lagos rempli de supporters du Nigéria qui débarquaient. J’étais au Brésil au milieu de gens venus du monde entier. Tout le monde était excité. Je voyais ces gens venir de partout, honnêtement j’en pleurais. Le football est plein de cliché mais la Coupe du Monde est pure ! Profitons-en car c’est surement la dernière qui le sera.
Merci Eli!
Photos by Jérémie Roturier