Le foot, on aime ça parce-qu’il y a des histoires qui n’existent nulle part ailleurs, n’est-ce-pas ? Et on est revenu de la Conifa World Football Cup avec une sacré histoire à vous raconter. Nous avons eu la chance de rencontrer Tenzin Samdup, le gardien de but de l’équipe nationale du Tibet après avoir pris des photos de ses émotions au coup de sifflet final du match contre la Chypre du Nord. Tenzin nous a contacté sur Instagram en voyant les photos et nous a demandé s’il pouvait les publier sur ses réseaux sociaux. On a profité de l’opportunité pour commencer à discuter et essayer de comprendre un peu mieux le fonctionnement de la team Tibet. En poursuivant la conversation en DM, nous lui avons proposé une interview sur Football Campagne, à laquelle il a répondu positivement. Nous avons appris beaucoup de choses à travers sa vision du football, et notamment comment construire une équipe nationale sans aucune structure établie ni ressources disponibles. Immense respect pour Tenzim ! Nous sommes ravis de pouvoir vous raconter cette histoire, qui mériterait vraiment d’être racontée à de plus grosses audiences que celles de Football Campagne. Mais nous sommes aussi fiers de pouvoir donner un peu de visibilité à ces gars qui se battent pour que leurs couleurs soient reconnues. Asseyez-vous confortablement, servez-vous un verre et lisez tout ça. Nous sommes convaincus que ça va vous plaire.
Je suis professeur d’Anglais dans des monastères pour les moines.
Jeremie: Cher Tenzin, pour commencer peux-tu te présenter et nous en dire un peu sur ton histoire ?
Tenzin: Je suis Tenzin, Tibétain de 25 ans vivant en Inde en tant que réfugié. Je vis dans un petit village de Tibétains dans le Sud de l’Inde qui s’appelle Mundgod.
Nous les Tibétains n’avons pas le privilège de pouvoir jouer dans les Ligues principales en Inde car il faut un passeport Indien que nous ne possédons pas. Et si nous voudrions en avoir, ça serait une vraie contradiction avec notre propre identité parce-que nous devrions abandonner notre communauté et redevenir sans territoire. Le problème principal c’est que le gouvernement Indien a établi une règle qui nous impose de quitter nos villages Tibétains pour obtenir le passeport. Comme tout footballer, j’ai aussi eu le rêve et l’envie de devenir un jour joueur professionnel. Et j’ai essayé d’y parvenir. J’ai été renvoyé de mon Université car j’ai manqué trop de courses en participant à des détections dans des clubs Indiens. Mais tu sais, sans vrai soutien de la famille et toutes autres sortes de circonstances, ce n’est devenu rien de moins qu’un rêve irréalisable. Et maintenant j’ai un travail à côté, je suis professeur d’Anglais dans des monastères pour les moines.
Comment es-tu parvenu à devenir le gardien de l’équipe nationale du Tibet ?
J’ai toujours voulu jouer pour notre équipe du Tibet, ça représente énormément de choses pour moi et j’ai ça dans mon coeur depuis que je suis un enfant à l’école. C’était un rêve de gosse, mais tu vois, avec le temps tes ambitions changent. Mais pas celle-là. C’est vraiment un aboutissement de devenir l’un des meilleurs joueurs de notre communauté, et au Tibet la passion pour le football est évidemment totalement folle.
Nous avons ce tournoi, exclusivement pour les joueurs Tibétains, avec beaucoup d’équipes qui y participent. Pendant le tournoi, les joueurs sont sélectionnés et appelés pour des détections supplémentaires. J’étais au Lycée quand j’y ai joué pour la première fois. C’étaient mes grands débuts cette année là , en 2012, et j’ai eu la chance d’être sélectionné pour les détections. Immédiatement, j’ai téléphoné chez moi et mon père a décroché. Mec, je n’aurais jamais dû appeler en fait. Il m’a dit de rentrer à la maison direct…. Je n’ai pas voulu l’écouter, du coup on s’est pris la tête et j’ai remporté la bataille. Je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité, et je suis resté pour les détections. Depuis ce jour je suis le gardien de but titulaire de l’équipe du Tibet,.
On ne reçoit pas un centime quand on est sélectionné avec le Tibet.
Je suis vraiment curieux d’en savoir plus sur l’équipe nationale du Tibet. Est-ce-que tu peux nous en dire davantage?
Et bien, oui évidemment, je comprends ta curiosité et le fait que les gens ne nous connaissent pas trop. L’équipe nationale du Tibet, ça en jette hein ? C’était pareil pour moi quand j’étais petit, je pensais à ça avec des yeux émerveillés. Mais en réalité, quand j’ai commencé à en faire partie, j’ai découvert le vrai côté des choses. Au final, ce n’est qu’un nom. Quelques joueurs plein d’enthousiasme qui donneraient tout pour jouer pour leur pays. Ce qui nous motive c’est de représenter notre peuple et de montrer au monde que l’on existe. Mais tu sais, on n’a quasiment rien en retour.
Quel est le processus de sélection pour faire partie de l’équipe ?
Avant, il y avait un truc comme 60 joueurs qui venaient aux détections avec le même rêve que moi. Deux ans plus tard, 40 joueurs environ étaient là. Et finalement, en 2016, seulement 10 mecs se sont pointés. La raison principale, c’est que lorsque nous sommes appelés pour les détections, nous devons faire sauter des cours, manquer des jours de travail, ou laisser les enfants sans surveillance. Et puis, une fois que les détections sont finies et les joueurs sélectionnés, on prend une photo de groupe avec le maillot du Tibet, et c’est tout. On ne joue pas de match contre une autre équipe, nous ne participons à aucun tournoi, nous n’avons rien à quoi nous inscrire. Tu sais, franchement on ne reçoit pas un centime quand on est sélectionné avec le Tibet. Ce n’est vraiment rien qu’un nom.
L’année dernière par contre, les choses ont été différentes. Je n’avais pas vraiment prévu d’aller aux détections cette fois, mais le coeur décide pour toi à certains moments. J’ai fini par y prendre part, 21 joueurs étaient là. À l a fin, 18 ont été sélectionnés. Qu’ils soient forts ou pas trop, ils ont été pris dans l’équipe parce-qu’il fallait rassembler 18 mecs pour participer à un tournoi. Et il n’y avait aucune autre occasion pour recruter d’autres joueurs. La meilleure nouvelle que nous avons eu ce jour là c’est que nous allions enfin participer à un compétition. Une compétition, enfin ! C’est quelque chose que nous attendions depuis si longtemps. Et cette compétition c’est la CONIFA World Football Cup 2018 à Londres.
Est-ce-que vous arrivez à vous entraîner régulièrement avec vos coéquipiers ?
En fait on a commencé à s’entraîner juste un mois avant le début du tournoi.
Ça semble vraiment peu pour être prêt à temps. Pourquoi un mois seulement ?
La raison est simple. En fait nous n’avons pas de terrain à nous que nous pouvons utiliser, nous devons nous mettre d’accord avec les écoles et institutions pout utiliser leurs terrains. Ce n’est pas facile. Et aussi, les terrains ne sont pas vraiment en bon état. S’il pleut pendant la nuit, il n’y a pas d’entraînement le lendemain parce-que ça devient trop boueux pour jouer au foot. On nous a reproché de trop balancer pendant les matchs, on jouait trop en l’air. On a dû apprendre à changer ça pour la CONIFA car les joueurs des autres équipes sont beaucoup plus physiques que nous. Mais est-ce-que tu sais pourquoi on a l’habitude de balancer ?
Pas vraiment, non…
Et bien, tout simplement parce-que nous jouons sur des terrains stabilisés, pas de pelouses ni synthétiques. On a pris cette habitude. Quand tu veux faire la passe à tes coéquipiers sur ce genre de terrain, le ballon se retrouve dans les pieds de tes adversaires. Pour éviter ça, on balance. Même si on essaie d’éviter, c’est comme ça à la fin. C’est vraiment difficile de devoir changer ses habitudes d’un seul coup.
Il y a des équipes Tibétaines dans la Ligue Indienne ? Tu peux nous expliquer comment tout ça est structuré pour les Tibétains ?
Non, on ne joue pas dans les Ligues Indiennes. Je ne sais pas vraiment si le management a essayé ou pas, peut-être que ça exige trop de moyens financiers, pour payer les joueurs pour les déplacements, et nous savons que le management ne peut pas payer tout ça. Participer à une compétition comme celle-là, c’est déjà tellement de travail pour le management. En particulier quand on sait que personne n’est payé pour ça. Donc tu vois, joueur dans une Ligue ce n’est pas envisageable pour le moment.
Malgré toute les pressions de la Chine, on est parvenu à participer à la Coupe du Monde.
Au match contre la Chypre du Nord, on a remarqué que de nombreux supporters Tibétains étaient là pour vous encourager. Est-ce-que tu ressens ce genre de soutien dans d’autres endroits du monde ? Quelles sont vos relations avec les supporters Tibétains et la diaspora en général ?
Comme je l’ai dit, l’amour des Tibétains pour le foot est immense. Et comme tu as pu le voir à Londres c’est aussi un moyen pour les gens de se rassembler. Le plus important, c’est que nous, les Tibétains, nous avons cette fraternité, ces liens familiaux qui font qu’on se soutient mutuellement. Où que l’on soit amené à jouer dans le monde, s’il y a des Tibétains sur place, nous savons aveuglément qu’ils viendront nous encourager. Nous sommes comme ça, nous prenons soin les uns des autres.
Quand je t’ai photographié au coup de sifflet final contre la Chypre du Nord, je t’ai vu vraiment déçu et triste du résultat. Raconte-nous tes émotions à ce moment précis. Quels étaient vos objectifs pour la CONIFA World Football Cup ?
Ce match contre la Chypre du Nord était d’une importance capitale, en particulier après la défaite 3-0 lors de notre premier match. Le Tibet avait joué contre la Chypre du Nord il y a longtemps, en 2006, et on s’était fait exploser en prenant plus de 10 buts. On ne les avait jamais rejoué, et la blessure était toujours présente. On avait la chance de pouvoir réécrire le cours de l’histoire cette année à la CONIFA. On était bien à la mi-temps, avec ce score de 1-1. Mais ensuite j’ai encaissé deux buts en deuxième mi-temps et notre chance nous a glissé entre les mains, comme la qualification pour les Quarts de Finale. Ça aurait donné un troisième match de groupe intéressant, ou au moins une bonne raison de nous battre sur le terrain, mais cette défaite a tout foutu en l’air. D »un point de vue personnel ça m’a vraiment secoué parce-que je savais que j’aurais pu mieux faire. C’est ça être un gardien de but je suppose. Tu finis par te sentir coupable, l’équipe ne pouvait pas nous sauver, mais moi je le pouvais et j’ai échoué. Nous voulions produire du beau jeu depuis le départ, et ensuite la victoire ou la défaite ça venait dans un second temps. En particulier pour une équipe comme la nôtre qui pouvait à peine s’entraîner à un mois de la Coupe du Monde à cause de problèmes de Visa. Envisager de gagner la Coupe ça ne nous paraissait pas très réaliste. On voulait donner le maximum, et éviter de concéder trop de buts. Peu importe le score, nous étions là pour nous battre jusqu’au coup de sifflet final. Mais quand on tombe dans un groupe avec de telles équipes, il n’y a pas forcément grand chose à faire.
Qu’est-ce-que ça représente pour toi de porter les couleurs du Tibet sur un terrain de foot ?
Dis-moi ce que tu penses de ça. Pendant toute ta vie, tu as été dénié de ta propre identité et de ton existence en tant que pays. Et puis soudain, tu as la chance de jouer une Coupe du Monde, épaule contre épaule avec d’autres communautés comme la nôtre. Tu as cette chance de t’affirmer, de chanter ton hymne nationale avec ton drapeau qui flotte fièrement dans les airs. C’est un aboutissement. Je me suis battu et j’ai rêvé toute ma vie qu’un moment comme celui-là arrive un jour, et quand c’est en train de se produire, c’est juste trop d’émotions pour nous. Malgré toutes les pressions de la Chine, on est parvenu à participer à la Coupe du Monde. Et on remercie la CONIFA du fond du coeur pour nous donner l’exposition que l’on mérite. Ils ont pris la bonne décision.
Et qu’est-ce-qui va se passer après la CONIFA ? Quels sont les prochains objectifs pour l’équipe du Tibet ?
Pour être honnête, je n’ai aucune idée de ce qui va nous arriver maintenant. J’ai déjà démissionné de mon travail car j’allais partir pour des camps de préparation et pour le tournoi, ce qui nécessite beaucoup de temps. Là où je travaille, à l’école, demander un congé spécial en permanence ce n’est pas vraiment possible. Ça aurait posé trop de problèmes aux élèves, du coup j’ai dû démissionner pour le bien de tout le monde. Tous les joueurs retournent là d’où ils viennent. On espère véritablement que l’on va être rappelé pour une autre compétition, ou de nouvelles détections. Mais pour l’instant, il n’y a vraiment rien de prévu.
Un immense merci Tenzin, nous sommes vraiment ravis de pouvoir raconter ton histoire aux lecteurs de Football Campagne. Nous sommes vraiment impressionnés par ta passion, par tous les efforts que les joueurs Tibétains fournissent pour défendre leurs couleurs malgré le manque de ressources. Nous espérons vraiment rester en contact et que de nouvelles opportunités de suivre l’équipe du Tibet lors de ses prochaines aventures se présenteront.