Le 30 juillet 1972, le tronçon de la A52 long de 20 km entre The Pentagon Island à Derby et le Queen’s Medical Centre à Nottingham était inauguré. Brian Clough préparait alors une nouvelle saison (sa dernière) du côté de Derby après un titre fêté dans un hôtel de Majorque. Il était sûrement loin de se douter que 35 ans plus tard cette route porterait son nom. Il fut sûrement le premier à en joindre les deux bouts avec succès. En 1975, il ira à la fin de ce tronçon pour faire de Nottingham Forest un grand du royaume et un grand d’Europe. C’est là qu’il y a 10 ans à peu près j’eus la révélation. L’amour pour le football ici est revendiqué, complètement assumé, mieux il fait partie de la vie quotidienne. 70 000 automobilistes prennent chaque jour une route du nom d’un manager local. Incroyable.
Il fallait donc revenir sur le lieu du coup de foudre comme on le fait parfois lorsque son couple bat de l’aile pour vérifier si la romance n’a pas pris une giclée de plomb en plein vol. Nous voilà donc dans notre train du vendredi soir direction Nottingham, un an après avoir été quelques kilomètres au nord du côté de Sheffield. On en placera une pour les deux fans de Leicester complètement ivres dans le train qui après quelques chants à la gloire des Foxes ont comaté avant de se vomir dessus. Brexit ou pas l’Angleterre reste toujours fidèle à elle-même. À la différence de sa voisine du nord marquée dans son paysage et son urbanisme par l’impact de l’industrie de l’acier, Nottingham, en tout cas son centre-ville, sont bien plus cossues. On boit des pintes en-dessous du château dans la plus vieille auberge d’Angleterre qui croisa quelques croises du temps des Croisades. La statue de Robin de Loxley quelques mètres plus haut rappelle la riche histoire de la ville. Une histoire qui fait corps avec le football.
En 1862, Notts County voit le jour. Les Magpies sont connus pour avoir été jusqu’à mai dernier le plus vieux club professionnel du monde avant de descendre en National League, le premier échelon semi-pro anglais. En 1865, ils étaient imités par Nottingham Forest, un club fondé par une quinzaine de joueurs de shinty, une version gaélique du hockey. C’est sur ses racines que nous nous rendons en ce samedi matin. Sur le chemin, impossible de ne pas faire un petit détour par la statue de Brian Clough. Comme à l’autre bout du tronçon de A52 qui porte son nom, Nottingham a érigé une statue en l’honneur de Big Ead. Ici à l’angle de Queen Street et de King Street, trône le divin manager qui régna sur l’Olympe du football en 1979 puis en 1980 en remportant deux fois d’affilée la Coupe des Clubs Champions, du jamais vu dans le pays du football.
Mais continuons notre chemin vers la source de l’histoire de Forest. Lorsque nous arrivons au Forest Recreation Ground, le brouillard caresse les terrains de ce parc aujourd’hui semblable à beaucoup d’autres aires de jeu du royaume. Presque anonyme mais néanmoins avec un petit charme avec son club house historique, nous nous trouvons ici sur le premier terrain foulé par des joueurs portant le Garibaldi Red. Au XIXe siècle, les terrains faisaient encore partis de la pointe sud de la forêt de Sherwood. De là à dire que c’est pour cela que Nottingham Forest porte ce nom, il n’y a qu’un pas que nous sautons allègrement. Football Campagne, premier dans l’enfonçage de porte ouverte !
En redescendant vers le centre ville, impossible de ne pas remarquer une maison à la large fenêtre sur laquelle est collée le blason du Milan AC. Sans le savoir, nous sommes repartis par Mansfield Road et nous venons d’arriver devant la maison de naissance d’Herbert Kilpin au numéro 191. Jeune footballeur adolescent, il crée avec des amis le Garibaldi Nottingham, un club qui rend hommage au héros italien du même nom dont les chemises rouges ont déjà inspirées la couleur du maillot de Forest (qui voyagera aussi au Dial FC ancêtre d’Arsenal). Plus tard, il se rendra en Italie pour y travailler avec Edoardo Bosio, un négociant en textile fondateur du troisième club italien, l’Internazionale Torino. Sous ses couleurs, Herbert Kilpin, devient le 1er anglais connu à évoluer à l’étranger. Mais c’est lorsqu’il déménage à Milan qu’il écrit un peu plus l’histoire. Avec un autre Anglais, Samuel Richard Davies, ils fondent le Milan Foot-Ball and Cricket Club dont Kilpin devient le player-manager.
Nichés dans une ruelle loin du tumulte du centre ville, c’est à la santé du brave Herbert que nous buvons dans le pub qui porte son nom. Plutôt récents et brillants, les murs sont recouverts de cadres rossonero mais font aussi référence à quelques Coupe du Monde passées. Aucune trace du rival juventini. Pourtant c’est aussi à Nottingham que la Vieille Dame doit ses couleurs. Fatigués des maillots roses et noirs défraîchis, le joueur anglais John Savage contacte un ami fan de Notts County, qui lui enverra un jeu de maillots blancs barrés de bandes noires. Jugé agressif (mais toujours dans l’esprit Coubertin), l’ogre du football italien ne quittera presque plus cette tunique. De là à dire que Nottingham est un des berceaux du foot italien, il y a un deuxième porte porte ouverte que nous pouvons enfoncer.
Enfin réhydraté, le périple se poursuit en direction du City Ground pour le rendez-vous des ouailles de Sabri Lamouchi face à Cardiff. Le brouillard est si épais qu’on pourrait le palper. Mais avant de tester les décibels de la tribune Peter Taylor, dernier arrêt historique à Meadow Lane, home of Notts County. Au milieu d’une zone d’activités grise, le stade pue la dépression malgré l’abeille géante qui s’étale sur les sièges de sa tribune principale. Dur d’en dire plus. C’est toujours différent de voir un stade vide mais celui-ci ne dégage aucune chaleur. Mais si on se retourne, de l’autre côté de la Trent se dresse le City Ground. Même à 500 mètres on sent déjà à quel point l’enceinte en impose.
En suivant le flot dense et constant des fans Reds qui s’y dirigent, ce sentiment se fait plus fort. La ruche bourdonne au bord de l’eau. Comme à Sheffield, on tourne autour du stade en passant sous une tribune. Dans ce semi-tunnel ouvert sur l’eau, les noms des gloires passées sont apposés sur des plaques. Deux plaques, plus massives que les autres rappellent les succès européens acquis à Munich et Madrid. Bien que solidement attachés au Championship depuis 22 ans, les supporters de Forest continuent de garnir massivement les tribunes aux noms de Brian Clough et son fidèle adjoint Peter Taylor. Encore plus cette saison grâce à la réussite de Sabri Lamouchi. Forest à la 2ème attendance du championnat derrière le Leeds de Marcelo Bielsa. Cela s’entend à l’entrée des équipes et lorsque tout le stade se lève pour chanter une version revisitée à la sauce Garibaldi de « Mull of Kintyre ».
Première depuis plus de quatre ans en Angleterre : la tribune ne s’assoit pas après le coup d’envoi. Malgré les demandes des stewards personne ne cède et les gens restent debout et chantent… tout le match ! Malheureusement, ils vont voir leur équipe courir après le score et le temps après l’ouverture du score adverse de l’armoire Mendez-Laing. Dans ce match, les Reds font honte à la précision de Robin de Loxley en cadrant seulement 2 de leurs 32 tirs de la partie ! Dans cette journée Histoire, on a eu le droit à une représentation d’un Nottingham Forest laborieux à l’image des derniers cinq ans des Reds.
Le coup de sifflet final marque la fin de cette journée passée dans un musée à ciel ouvert de l’histoire du football mondial. Si la ville vit encore dans le passé glorieux de ses exploits footbalistiques et en fait des équivalents à ceux de Sieur Robin, Forest malgré la défaite du jour montre cette saison qu’il y a encore un futur à écrire sur les rives de la Trent. Qui sait Sabri Lamouchi pourrait bien avoir une statue à son nom un jour…
Lyrics par Adrien Picard
Photos par Jérémie Roturier