Tout plaquer pour aller tenter sa chance de devenir pro à Singapour. C’est la décision qu’a pris Antoine Lemarié à l’âge de 20 ans. Des espoirs au désespoir, des échecs aux premiers chèques, de l’indifférence à des chants en son nom, Antoine est passé par toutes les émotions au cours d’un voyage commencé en Asie et terminé en Australie. L’histoire d’Antoine c’est l’histoire d’un rêve de gosse, du rêve de tous les gosses, mais rattrapé par la réalité. Et il nous raconte tout sur Football Campagne. Embarquez pour le récit de l’aventure d’un sacré bleu au bout du monde.
Juste avant la saison, je me suis retrouvé livré à moi-même.
Salut cher Antoine, on a entendu parler de ton histoire un peu dingo. Est-ce-que tu peux te présenter rapidement à nos sympathiques lecteurs?
Salut Football Campagne, j’ai 22 ans et je suis né à Thiais en banlieue parisienne, raison pour laquelle j’ai toujours supporté le PSG, désolé. Puis ma famille à déménagé dans le Sud à Aix en Provence où j’habite depuis presque toujours.
Tu viens de jouer en D2 Australienne, où vis-tu et où en es-tu aujourd’hui ?
Malheureusement mon visa en Australie se terminait à quelques matchs de la fin de la saison, c’est pourquoi j’ai dû rentrer en France. Ca m’a permis de passer l’été avec mes proches que je n’avais pas beaucoup vu ces deux dernières années. Pour cette rentrée, j’ai pris la décision d’aller m’installer à Paris avec ma copine que j’ai rencontré en Australie. Je vais y terminer ma Licence de journalisme que j’avais commencée à Marseille avant de partir.
Alors, raconte nous. Comment tu t’es démerdé pour atterrir de l’autre côté de la terre pour jouer au foot ? Tu peux nous expliquer ton parcours ?
Tout a commencé complètement par hasard. Il y a deux ans je suis allé passer deux semaines de vacances chez mon oncle et ma tante qui vivent à Singapour. Un jour, je suis allé faire un foot avec mon cousin et juste à coté une équipe s’entrainait. J’ai demandé au coach une pompe pour gonfler notre ballon, nous avons un peu discuté et le lendemain j’étais convié à leur entrainement. Le coach me propose de jouer avec eux pour un tournoi qui avait lieu le week end suivant. Et ce week end là, dans mon équipe il y avait la légende du football Singapourien, le meilleur buteur de l’histoire de la sélection, Aleksandar Duric. Je n’avais aucune idée de qui il était. Entre deux matchs, je discutais avec lui de mon rêve d’aller tenter ma chance dans le foot en Australie – déjà à l’époque, j’avais cette idée en tête – et j’ai appris qu’il y avait joué avant de s’installer à Singapour. Il m’a alors déconseillé l’Australie en me disant que sans agents ni contact ce serait quasi impossible de trouver un club. Mais en revanche il pensait que j’avais toutes mes chances pour réussir à Singapour où je pourrais bénéficier de ses relations. Je me suis dit Banco !
En rentrant en France j’ai arrêté mon école et j’ai fait pas mal de petits boulots pour préparer mon arrivée à Singapour. Quand je suis revenu en Janvier, juste avant la saison, je me suis finalement retrouvé livré à moi même. Aleksandar était à l’étranger et ne me répondait plus. J’ai alors commencé à démarcher les clubs par moi même et je suis parvenu à obtenir quelques essais. Mais sans agent et en débarquant de nul part, les coachs ne m’accordaient aucun intérêt. Finalement, après qu’aucun club ne m’ait ouvert ses portes, j’ai décidé de profiter de mes économies pour voyager en Asie. Je m’apprêtais à rentrer en France, quand le coach d’une équipe avec laquelle je jouais en parallèle pendant mes essais m’a convaincu d’aller en Australie où il avait un contact qui allait m’aider à trouver un club. C’est sans un sou que j’ai débarqué à Melbourne, remotivé à bloc mais aussi plein d’incertitudes.
Au bout de quelques semaines, j’ai réussi à rencontrer ce contact, l’entraîneur adjoint de Melbourne Victory. Il m’a alors promis de m’aider à trouver un essai en 2ème Division. Malheureusement je n’ai jamais pu ravoir de ses nouvelles. Une nouvelle fois, je me suis retrouvé livré à moi-même. J’ai réussi à dégoter quelques essais dans des clubs à Melbourne mais cette fois encore tous infructueux. Après tous ces échecs je me suis donné une dernière chance. J’ai déménagé à Perth, sur la côte Ouest et la roue a enfin tourné. J’ai signé mon premier contrat dans un club de Deuxième Division.
À Singapour, le niveau du championnat professionnel n’était pas exceptionnel, je me suis dit que j’allais avoir une vraie carte à jouer.
Ah oui on ne peut vraiment pas faire confiance aux Singapouriens…
Qu’est-ce-qui t’a poussé à tout plaquer pour le foot ?
Comme beaucoup de garçons, j’ai toujours rêvé de devenir footballeur professionnel. Mais arrivé à l’âge de 20 ans, je n’avais jamais fait de Centre de Formation, je jouais à un niveau Régional, je ne me faisais plus trop d’illusions. Alors quand cette opportunité de Singapour s’est présentée, j’ai vu tous mes espoirs de gamin renaître et j’ai foncé en me disant que plus que tout au monde, c’était ça que j’avais envie de faire.
Et tu jouais où avant de partir ?
Je jouais à Luynes Sports un des clubs de ma ville, en PHA, le plus haut échelon de Division Régionale.
À quel moment t’es-tu dit que tu n’aurais pas ta chance pour percer en France ?
Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’y croire. J’ai toujours été un bon joueur, je jouais dans les équipes 1 de mes clubs mais je n’ai jamais été approché par des recruteurs de clubs pro. Je me suis contenté de jouer dans les clubs les plus proches de chez moi. J’aurais sans doute dû tenter d’aller jouer plus haut pour me donner une vraie chance de me faire repérer.
Quel a été le déclic pour te faire la malle ?
Ma première destination s’est choisie grâce à des rencontres. J’avais des contacts à Singapour, le niveau du championnat professionnel n’était pas exceptionnel, je me suis dit que j’allais avoir une vraie carte à jouer. J’ai d’abord du convaincre mes parents de me laisser partir et d’arrêter mes études. Quand ils ont vu que j’avais des contacts sérieux et que c’était vraiment ce que j’avais envie de faire ils ont fini par accepter. Puis j’ai bossé jusqu’à mon départ. J’ai fait vendeur de chaussures, j’ai aussi déchargé des colis pendant la nuit, je travaillais les soirs de match au Stade Vélodrome… Je voulais économiser un maximum d’argent avant de partir. Pendant ce temps là je jouais toujours avec mon club et je me préparais physiquement à coté pour arriver dans les meilleures conditions.
Quel enfer de travailler au Vélodrome pour un supporter du PSG !
Tu gagnais de l’argent avec le foot lors de tes expériences à l’étranger ? Tu te débrouillais comment sur place ?
À Singapour vu que je n’ai signé pour aucun club, je ne gagnais pas d’argent. Heureusement j’étais hébergé par mon oncle et ma tante, autrement je n’aurais pas fait long feu. En Australie en revanche c’était différent. Jusqu’à ce que je trouve un club, j’ai enchainé les jobs. À Melbourne, j’ai d’abord été recruteur de donateurs, puis pizzaïolo avant de louer des campings car. À Perth, je gagnais suffisamment avec mon club pour payer mon loyer chaque semaine. Mais pour vivre j’étais obligé de faire serveur à coté. À la fin, pour être plus confortable je travaillais aussi en tant que voiturier dans un hôtel de luxe. Je n’étais pas toujours frais en arrivant à l’entraînement.
Quels sont tes objectifs pour cette saison ? Tu cherches un nouveau club ?
Cette saison j’aimerais trouver un club d’un bon niveau à Paris, minimum DH pour me permettre de progresser encore. L’idéal serait de gagner un peu d’argent pour m’aider à payer mon appart.
Les supporters avaient un chant pour moi composé des seuls mots français qu’ils connaissaient : « Sacre Bleu Sacre Bleu Sacre Bleu ».
On t’a vu casser la cage sur YouTube avec Forrestfield United.
Qu’est-ce-que ce genre d’exploits ont changé pour toi?
Ce but, ça a été le moment le plus émouvant depuis que je joue au foot. J’en avais les larmes aux yeux. J’en ai tellement chié avant d’en arriver là, c’était comme une récompense pour tous les efforts que j’avais fourni. Surtout, ça m’a permis de vraiment m’imposer au sein de l’équipe. Quand je suis arrivé, j’ai commencé avec la réserve puis je suis passé avec l’équipe 1 où j’ai commencé par rester sur le banc, puis je rentrais pour des fins de matchs jusqu’à me retrouver titulaire. Ce but m’a également crédibilisé aux yeux des supporters et de mes coéquipiers qui ne me connaissaient pas du tout à la base. Après ça les supporters avaient un chant pour moi composé des seuls mots français qu’ils connaissaient : « Sacre Bleu Sacre Bleu Sacre Bleu ».
C’est bien l’Australie ?
C’est génial ! Mais il faut que j’y retourne, je n’ai quasiment rien vu. J’étais là bas dans le but de trouver un club de foot, pas de faire du tourisme. Je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup voyager, même si c’était tentant, j’étais un peu coincé entre les essais, les entraînements et les matchs. Je n’ai même pas eu le temps d’aller à Sydney.
Et Singapour c’est bien ?
Singapour aussi j’ai adoré. Je jouais dans une équipe de français, l’Olympique Gaulois, ce qui m’a permis de me faire plein de potes. On a fait quelques belles sorties là bas…
Ça ballone dans ces pays là ?
Je dirais que la Singapore Premier League (D1 singapourienne) équivaut à la deuxième division Australienne. Comparé à la France les meilleures équipes de ces divisions auraient un bon niveau de National. Pour les moins bonnes, ce serait plus du CFA, CFA 2. En revanche en A League (D1 Australienne) ça commence à bien jouer. Certaines équipes de ce championnat pourraient jouer en Ligue 2 voir en Ligue 1.
Tu penses que tu aurais pu percer à plus long terme ?
En Australie je ne pense pas. La A League c’est quasiment intouchable pour un joueur qui n’est pas déjà pro. Les équipes de ce championnat ont tendance à bouder les joueurs de Division inférieure, c’est rare de franchir le pas. Au mieux j’aurais pu trouver un meilleur club de D2 à Melbourne ou Sydney. En revanche à Singapour, je suis convaincu que j’avais les qualités pour signer dans un club. Sans prétention, chaque essai que j’ai pu réaliser là bas j’avais le niveau. Je pense que ce qu’il m’a manqué c’est une vraie expérience footballistique dans mon CV et peut être un agent. Mais je n’exclus pas de retourner y tenter ma chance un jour.
Jusqu’à quel niveau penses-tu pouvoir évoluer ? Quel est ton objectif ultime ?
Toutes ces expériences m’ont permis de prendre réellement conscience de mes capacités. À Singapour je faisais jeu égal avec des mecs qui jouait en équipe nationale. Après je reste lucide, je sais qu’en France je ne pourrais sans doute jamais jouer plus haut que national, et encore. Mon objectif ultime serait de jouer dans un club pro en Asie ou dans un pays pas forcément réputé pour son football et de vivre de ma passion. D’être complètement professionnel sans devoir faire des petits jobs à droite à gauche. Pouvoir corréler ma passion au voyage, je trouve ça fantastique !
Quels sont les autres pays que tu as en tête pour de prochaines expériences ?
Je pense encore à Singapour, l’Indonésie me plairait beaucoup aussi. J’ai un pote qui joue en Finlande et qui m’a proposé de le rejoindre, à voir. Je suis très ouvert. Mais cette fois-ci, je ne partirai pas si je ne suis pas sûr de ce qu’il y a au bout.
Quelles sont les principales différences que tu as pu découvrir avec le football français ?
Que ce soit à Singapour ou en Australie, il y a un système de quota pour les joueurs étrangers que l’on ne retrouve pas chez nous. De plus, ces championnats ne connaissent pas de promotions ni de relégations, ce sont des ligues fermées. Je pense que c’est ce qui les empêche de progresser et de susciter plus d’intérêt.
Au niveau du jeu les singapouriens sont en général assez petits mais très agressifs. En Australie, c’est plus un jeu à l’anglaise avec des grands mecs costauds un peu bourrins même si il y en a qui jouent très bien au ballon.
Mais la différence qui m’a le plus marqué c’est l’ambiance. En NPL (le championnat dans lequel j’évoluais) après chaque rencontre, l’équipe qui recevait organisait un grand repas où les joueurs des deux équipes se mélangeaient. J’ai adoré cet état d’esprit. En France, pratiquement à chaque match que je jouais il y avait embrouille et dès que l’arbitre sifflait la fin de la rencontre chacun rentrait chez soi.
Qu’est-ce-qui te manquait de la France quand tu étais à l’étranger ?
La bouffe ! Non, plus sérieusement ma famille et mes potes. C’était la première fois que je partais de chez moi et la première année je ne suis pas du tout rentré. Ça n’a pas été facile même si je profitais bien. Pour les matchs à la télé aussi c’était chiant. Avec le décalage horaire tous les matchs européens se jouaient vers 3 ou 4h du matin. J’avais pour habitude de regarder tous les matchs du PSG avant de partir, j’ai dû me résoudre à sacrifier la Ligue 1 et me concentrer sur la Ligue des Champions sinon j’aurais été un zombie.
J’ai vécu les meilleures années de ma vie.
As-tu rencontré d’autres joueurs Français ou Européens au cours de ton parcours ?
À Singapour il y a un mec qui joue à Hougang United, il s’appelle Antoine aussi d’ailleurs, je l’ai croisé lors d’un entraînement. Et un autre qui joue à Home United, Camara, que j’ai pu côtoyer pendant que j’étais à l’essai là bas. Ensuite en Australie je me suis retrouvé deux fois à l’essai avec un autre français. Mais avec la règle des quotas de deux joueurs étrangers par équipe, ça limite quand même pas mal.
Quel est le truc le plus fou qui te soit arrivé ?
Je ne sais pas pourquoi quand j’étais à Singapour tout le monde trouvait que je ressemblais à Griezmann. Un jour, alors que je marchais dans la rue avec ma tante, deux mecs se sont mis en tête que j’étais vraiment Antoine Griezmann. Quand ma tante a compris, elle en a rajouté des caisses, elle m’appelait exprès par mon prénom en parlant fort pour qu’ils entendent. Les types nous ont suivis pendant 10 minutes ils n’ont pas arrêté de me prendre en photo avant de repartir tous contents.
Ahah ! J’ai le même problème avec Cesc Fabregas. J’étais à Los Angeles il y a quelques semaines et un chauffeur Uber m’a demandé s’il pouvait prendre un selfie avec moi car il était fan de ma façon de jouer.
Et s’il y a une connerie que tu as faite qui est à ne pas refaire ?
Je dirais d’être parti sans avoir de réelles certitudes sur ce qui m’attendait. Mais en soi si je ne l’avais pas fait, rien de tout ça ne me serait arrivé. Donc je ne regrette pas du tout d’être parti, j’ai vécu les meilleures années de ma vie.
Qu’est-ce-qu’on peut te souhaiter ?
Dans un premier temps d’avoir mon diplôme de journaliste. Et puis pourquoi pas dans les années à venir de finir par signer pro.
Et pour finir, tu connais notre amour pour les terrains de foot abandonnés. Quel est le stade le plus pourri dans lequel tu aies joué ?
Sans hésiter, le stade de l’île de Gorée au Sénégal. Il y a un gros baobab en plein milieu, les cages sont défoncées, par terre c’est un mélange de sable et de cailloux mais en même temps il est magique ce stade.
On souhaite de tout coeur plein de réussite à Antoine, dans ses études comme dans ses projets footballistiques. Si vous souhaitez en savoir plus si son expérience à Singapour, allez jeter un oeil aux rubriques qu’il tenait pendant son voyage: lepetitjournal.com/antoine-ou-le-reve-singapourien
Vive le Football Campagne !