Se rendre à Lisbonne deux semaines avant le début de l’Euro, c’est presque comme une sorte de fin de thérapie. Un processus d’acceptation d’une fatalité qui nous a déjà frappée près de cinq ans auparavant. On en a des souvenirs de ce jour là. Entre Français et quelques Anglais dans mon salon londonien, moi tiraillé entre le stress du match mais aussi de travailler en même temps (être community manager en relation avec une compétition sportive plus jamais !), l’appli L’Equipe qui m’annonce le but d’Eder en avance, moi qui ne peut contenir ma déception et tout un par-terre d’amis spoilés comme si ils n’avaient pas muté le nom de Jon Snow sur Twitter après le final de Game of Thrones.
Mais en 2021, après plus d’un an passé chez moi, quand l’ami Boris annonce que le Portugal est sur la Green List des pays dans lesquels il est plus facile de voyager pour les résidents de Grande-Bretagne, c’était un no-brainer. J’ai réservé mon aller-retour plus vite qu’Eder n’a eu de temps pour armer sa frappe qui a enterré nos espoirs de gagner notre troisième couronne continentale en 2016.
Les mollets déjà bien taillés par ces rues lisboètes dont les pavés vous regardent droit dans les yeux, je me suis lancé dans ma Campagne à Lisbonne.
Estádio da Luz
Aussi sûr que l’aiguille d’une boussole indique le nord, les yeux d’un passionné de foot à Lisbonne se dirigent naturellement vers l’antre du Benfica. Et première chose pour le béotien en football lusitanien que je suis, Benfica c’est un quartier, c’est même une paroisse ! Le long de la voie rapide se dresse l’antre benfiquiste. Le stade donne l’impression d’avoir été construit à l’image de la légende du club : majestueuse. Construit pour l’Euro 2004, l’Estádio da Luz, mérite son surnom de « cathédrale », quand j’y entre le stade est bien sûr vide mais j’imagine parfaitement le bruit que les supporters peuvent faire un jour de match.
Mon guide m’apprend que le club tel qu’on le connait aujourd’hui est né de la fusion du Grupo Sport Lisboa co-fondé par Cosme Damião (figure légendaire du club dont le musée près du stade porte le nom) et du Sporte Club de Benfica en 1908. De cette fusion naitra un club de football et de cyclisme (et pas de cyclimse) d’où la roue de vélo sur l’emblème du club.
La visite guidée inclut aussi la salle de presse dont le couloir qui y mène est recouvert d’une fresque regroupant les légendes du club. Les plus Parisiens, Marseillais et Bordelais d’entre vous y retrouveront respectivement Valdo, Ricardo, Carlos Mozer, Toni et Nando Chalana. Elle commence par le joueur le plus titré du club, le légendaire Luisao, s’arrête bien sûr sur le premier Ballon d’Or portugais de l’histoire Eusébio et se termine sur Cosme Damião, qui occupa tous les postes au club, de joueur à entraineur mais qui refusa toujours d’en être président.
J’apprends aussi à l’intérieur du vestiaire visiteurs que des enceintes et des télés diffusent en direct l’ambiance du stade pour mettre la pression aux joueurs adverses avant le match. Le Benfica est sûr de sa puissance à l’échelon national. Sur le chemin du retour, je me retrouve nez à nez avec les trois aigles du club, Luz, Gloria et Victoria qui vivent dans le stade H24, postés derrière l’emplacement d’un des buts. Les aigles à la stature impressionnante rajoutent si il en était besoin une aura majestueuse et impériale au club qui a un temps compté le plus de socios dans le monde (300 000) et recense 14 millions de supporters tout autour du globe.
Je sors du stade sous l’oeil concentré de la statut d’Eusébio avec l’idée bien ancrée que j’y retournerais quand on pourra tous s’y tasser et crier.
Sport Futebol Palmense
Qu’est-ce qui peut bien m’amener du côté de Palmense ? À une station de métro en-dessous de La Luz, c’est là qu’on trouve ce tout petit stade dans un quartier périphérique de Lisbonne où l’état des tours ressassent les différents phases de l’urbanisation du coin dans les dernières décennies.
La stade de Palmense n’a pas vraiment de nom et on y accède par des rues quasi désertes à cette heure du vendredi. Collé à un vieux garage, le restaurant du stade avec vue sur la pelouse a plutôt un bonne fréquentation si on considère le côté désert de ce quartier.
Je fais le tour pour trouver l’entrée. On peut accéder par l’arrière du terrain via une petite butte à peine ralenti par une barrière en plastique où survit une pancarte qui « interdiction d’entrée » en portugais. Mais en vrai tout le monde s’en fout. La voisine passe devant moi sans se soucier du panneau et lâche son berger allemand sur le synthétique du stade. Let’s go then!
Comme dans beaucoup de vieux stade de banlieue par delà le monde, le côté récent du terrain synthétique tranche avec les gradins décrépis. Une réplique d’un personnage d’Olive & Tom avec l’inscription Formaçaõ détonne sur les murs blanc de l’enceinte.
Le côté vétuste de certaines parties des infrastructures permet de rappeler que le SF Palmense est en fait un club qui a fêté ses 111 ans cette année. Le club a d’ailleurs remporté un titre de champion de 2ème district de la Division Junior de Lisbonne en 2009/2010. Et si on regarde un peu les réseaux du club on voit que les équipes jeunes ont la part belle. Alors Palmense parait être un club oublié dans l’ombre de la montagne Benfica, mais on est ici en présence d’un de ces nombreux clubs qui restent la vie d’un quartier et permettent à des centaines de jeunes d’enfiler des crampons et un maillot tous les weekends.
Estádio José Alvalade XXI
À 2 km en bus de La Lúz, le lion remplace les aigles. Ici l’animal totem du Sporting trône tout de pierre vêtu au milieu d’un rond-point qui dirige les automobilistes dans un parking souterrain.
L’antre du tout nouveau champion en titre semble mal remise de la gueule de bois de la célébration de la Liga NOS. Dur de trouver âme qui vive et même l’entrée de ce stade. Comme chez le rival benfiquiste, le stade est sorti de terre en 2003 pour l’Euro de l’été suivant. Et on peut pousser la ressemblance sur le fait qu’on y trouve aussi une galerie commerciale qui semble même plus importante que celle du Benfica. Quelques enfants jouent et les gens déambulent l’air un peu affable. Seuls les t-shirts des vendeurs du club dans le stand en dehors du centre commercial rappellent que le club a fêté son titre de champion il y a une semaine tout juste.
Cette fois-ci pas de visite de l’intérieur de l’antre sportinguista, je suis déjà bien rincé. Je me contenterais d’une vue entre un grillage pour voir les sièges multicolores du stade. Bref pas forcément convaincu par le stade et peut-être aussi encore sous la forte impression de La Luz, je continue mon chemin.
Club Futebol de Benfica
Dernière étape dans le quartier de Benfica. Le soleil tape et les jambes commencent à s’alourdir. Bien loin du voisin benfiquiste, ici le stade semble être coincé dans une autre époque. Le parking rassemble quelques vieilles 4L, la statue qui accueille les visiteurs est dévorée par la végétation et l’endroit semble désert à part dans le restaurant du stade.
La propriétaire vient me trouver pour me demander ce que je fais là. Après un baragouinage en franco-anglo-espagnol elle accepte de m’ouvrir les portes du stade et d’y trainer à volonté. Me voilà donc dans le stade Francisco Lazaro et sa tribune blanche immaculée qui affiche le nom du club dans un rouge fier et pétaradant.
On est ici encore une fois dans un lieu d’histoire puisqu’on retrouve des traces de ce club omnisports jusqu’en 1895 bien qu’il ait pris ce nom en 1933 lorsqu’il fusionna avec d’autres clubs. Pour l’anecdote, le club a plusieurs titres nationaux en roller hockey et hockey sur gazon. Le stade porte le nom de Francisco Lazaro, porte-drapeau de la délégation portugaise aux Jeux Olympiques de Stockholm en 1912 et qui mourra au kilomètre 29 du marathon de ces mêmes jeux.
Si ce magnifique stade qui domine Lisbonne semble coincé dans un autre temps, le club se tourne vers ses sections de jeunes. Plusieurs joueurs passés par le Futebol Benfica dans leur jeunesse font d’ailleurs les joies de l’équipe nationale comme Ricardo Pereira, Gelson Martins ou Manuel Fernandes mais aussi Dady pour le Cap-Vert. Les féminines ne sont pas en reste et plusieurs joueuses du cru sont aussi régulièrement appelées en équipe nationale.
Dans ce cadre, on sent vraiment que le CF Benfica est une des pierres angulaires de la vie du quartier. Le club surnommé Fofo (un surnom hérité des colibets des supporters du SL Benfica lors des matchs de hockey et loin d’être accepté de tous les supporters du club) est un de ces viviers comme on trouve dans beaucoup de capitales où le passé se met au service du futur.
La chaleur de ma peau ayant atteint le thermostat 6 et la fatigue bien présente, je décide de « call it a day » comme disent les Anglois et d’aller enchainer quelques cocktails en centre ville dans le cossu bar Pharmacia dans les jardins du musée de la pharmacie justement.
C’était une bonne journée pour faire la paix avec le football portugais même si ça veut pas dire qu’on leur souhaite de gagner l’Euro encore !
Texte et photos par Adrien Picard